La musique et le voyage ont toujours été étroitement mêlés, parce que les interprètes sont des baladins. Lise Cristiani, cependant, a ajouté à son destin une curiosité et une témérité rares.
L’odyssée de Lise Cristiani serait passée dans la grande trappe des aventures inconnues si un rédacteur de la revue Le Tour du monde n’avait eu l’occasion de lire quelques lettres écrites par la jeune fille... (suite sur "plus d'infos")
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Coup de folie en effet, car Lise n’est pas une voyageuse, même pas une passionnée de géographie. Elle est violoncelliste, tout simplement.Tout simplement ? Est-ce si simple d’être une jeune prodige en 1845 ? C’est en tout cas possible : son talent est repéré alors qu’elle a dix-huit ans, sa carrière commence brillamment et se poursuit de salle en salle, de critique en critique.
En 1847, elle est nommée premier violoncelle à Copenhague. Rien que de normal : voyager est moins un plaisir, pour les artistes, du moins pour ceux qui ne sont pas riches, qu’une nécessité. Mais une année ne s’est pas écoulée qu’une révolution la chasse de son havre.C’est alors que le destin de la jeune fille sort de l’ordinaire, même pour une saltimbanque. Pourquoi Lise ne rentre-t-elle pas en France ? Elle ne le dit pas à sa famille ; elle se contente de leur apprendre qu’elle se rend à Saint-Pétersbourg avec l’espoir d’y trouver un engagement. Encore une fois, le hasard politique s’en mêle ; dans la capitale russe, les théâtres sont fermés par un deuil impérial. Au lieu de reprendre le chemin de la maison, Lise continue sa route vers l’est.
En 1848, la voilà en Sibérie, où, pour vivre, elle se produit devant les communautés d’exilés politiques, et aussi, pour le plaisir, devant les tribus bouriate et kirghize. Image insolite qui la séduit elle-même autant que ses hôtes : une jeune fille aux sages bandeaux bien coiffés, aux cols de dentelles bien fermés, ses grands yeux levés au ciel tandis que monte dans la fumée d’une tente qui sent la graisse, une suite de Bach qu’elle joue pour le plaisir d’une famille de nomades en vêtements de peau…Au mois de mai, les neiges fondent ; il n’est plus possible de circuler à traîneau. Mais Lise ne rentre toujours pas. Elle a rencontré un général russe, Mouravieff, qui lui propose de le suivre dans sa mission. Mission on ne peut plus officieuse qui devrait décourager la jeune fille : il s’agit de partir en des régions encore mal connues pour voir jusqu’où il serait possible de repousser les frontières orientales de l’empire – qui, à cette date, l’heure, ne sont tracées sur aucune carte.
Lise s’est-elle demandée pourquoi le général s’encombrait de la jeune artiste si ingénue, si fraîche ? Sans doute, comme en d’autres cas dans l’histoire des voyages, justement pour donner une apparence innocente à son voyage de conquête.Peu importe, l’appel de l’inconnu est de toute façon le plus fort.
La route la conduit par la mer au Kamtchatka, à travers la presqu’île de Sakhaline. Au mois de juin, elle est à cheval dans l’embouchure de l’Amour, toujours suivie par son violoncelle. La neige tombe, elle se perd. Seule, elle progresse au milieu des marais où sa monture manque de s’enliser à chaque pas, et parvient finalement à retrouver la petite troupe de son compagnon de voyage.Le voyage durera plusieurs mois : « J’ai traversé quatre cents cours d’eau, petits, moyens et grands… j’ai fait tout ce chemin en briska, en traîneau, en charrette, en litière, tantôt traînée par des chevaux, tantôt par des rennes, tantôt par des chiens, quelque fois à pied et le plus souvent à cheval. J’ai aussi navigué pendant plus de cinquante jours sur l’océan Pacifique. J’ai reçu l’hospitalité parmi les Kalmouks, les Kirghiz, les Cosaques, les Ostiaks, les Chinois, les Toungouses, les sauvages de Sagalien, etc. Je me suis fait entendre en des lieux où jamais artiste n’était parvenu… »
Un voyage dont Lise ne reviendra pas. Elle est morte du choléra dans une ville du Caucase en 1853. Merci à Marie-Thérèse Grisenti de lui donner une nouvelle vie.
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